Togo – P. Dieudonné Otekpo, SDB : « Les ressources nationales sont accaparées par une minorité au détriment de la grande masse »

02 décembre 2019
Photo: © Ici Lomé

(ANS – Lome) – « Refonder la démocratie en Afrique pour la bonne gestion du bien commun », c’est le titre de l’ouvrage du P. Dieudonné Eniyankitan Olabiyi Otekpo, Prêtre, membre de la Congrégation des Salésiens de Don Bosco (SDB). Dans ce chef-d’œuvre, il évoque la notion du bien commun qui est au cœur de toutes les préoccupations depuis les époques anciennes. L’accaparement des biens par une minorité au pouvoir amène toujours des frustrations au sein des communautés, cela est source de conflits dans de nombreux pays, surtout en Afrique. Ce chef-d’œuvre de plus de 400 pages, subdivisé en trois parties qui comportent plusieurs chapitres, propose un modèle politique pour une bonne gestion des biens commun.

P. Otekpo est né le 15 octobre 1976 à Savè (Bénin). Il est titulaire d’une licence en Philosophie et Sciences Sociales, une maîtrise en Philosophie. Enseignant chercheur à l’Institut Supérieur de Philosophie et de Sciences Humaines (ISPSH) Don Bosco de Lomé, il en est actuellement directeur académique.

Pourquoi avez-vous senti le besoin d’écrire cet ouvrage, surtout le thème que vous abordez ?

Le besoin de travailler sur la démocratie en lien avec le bien commun remonte à plus d’une dizaine d’années. En fait, dans les pays où j’ai travaillé comme missionnaire, j’ai eu la chance de faire l’expérience de la pauvreté des peuples. J’ai pu observer un peu partout le même phénomène selon lequel, une minorité accapare les biens de l’Etat au détriment de la grande masse qui végète dans la misère. Face à une pareille situation, qui est le propre de plusieurs Etats, il y a eu des questionnements qui ont surgi en moi : Pourquoi les biens sont-ils inégalement répartis ? Pourquoi certains, en étant minoritaires sont-ils détenteurs de toutes les richesses alors que la plupart vit dans la misère ? Quel modèle politique devrait faire la promotion du bien commun et en assurer la bonne gestion en vue de l’épanouissement des citoyens ?. Voilà comment est né en nous le besoin de travailler sur cette problématique.

Si on parcourt bien votre œuvre, une notion revient dans presque toutes les lignes : c’est le « bien commun ». A quoi renvoie cette notion ?

Concept clé de la philosophie politique et sociale, le bien commun a fait son apparition sous la houlette de Thomas d’Aquin qui l’a thématisé en essayant de commenter les travaux de son maître Aristote. Considéré comme l’ensemble des atouts politiques, économiques, sociaux, culturels et artistiques qui font la prospérité et la fierté d’un peuple, le bien commun appartient à tous et à chacun. Il a été la préoccupation majeure des hommes à tous les temps et à toutes les époques. Voilà pourquoi la plupart des philosophes théoriciens de la société n’ont pas manqué de l’étudier directement ou indirectement en vue du bien-être des peuples. Le bien commun renvoie à tout ce qui n’est pas la propriété d’un individu mais de toute la communauté. Voilà pourquoi nul ne devrait s’arroger le droit d’accaparer les biens qui appartiennent à toute la communauté.

Votre livre soulève une problématique. C’est qu’il y a une inégale répartition des richesses en Afrique où une minorité vit bien au détriment de la majorité qui croupit dans la misère. A quoi cela est-il dû ?

Dans la deuxième partie de cet ouvrage, j’ai parlé des entraves au respect du bien commun. Parmi ces entraves, il y a celles que j’ai appelé les entraves institutionnelles. Parmi elles, il y a les abus et la personnalisation du pouvoir ainsi que la corruption qui sont les deux raisons de l’inégale répartition des biens.

On appelle personnalisation du pouvoir, l’incarnation du pouvoir dans les mains d’un seul individu et qui le gère à sa guise. En Afrique, dit Sophia Mappa, la notion de pouvoir est tributaire de la conception traditionnelle du pouvoir et n’échappe pas à l’indentification du pouvoir à un individu concret. Ce qui fait que « l’Etat est intériorisé et ne fait pas l’objet de réflexion ou de débat ». La personnalisation du pouvoir pose des problèmes. Elle conduit à la dictature qui inféode les autres pouvoirs législatif et judiciaire à sa cause. La dictature s’accompagne en règle d’or d’oppression des libertés, et des violations des droits de l’homme, de l’usage des biens nationaux à des fins individualistes. Le chef qui est au-dessus des institutions s’arroge tous les pouvoirs et gère les biens de l’Etat à sa guise. Du coup, tous ceux qui sont autour de lui font pareil et progressivement, les biens de l’Etat sont virés vers les poches personnelles. Il naît une classe d’hommes du pouvoir, des intouchables qui reçoivent des récompenses pour la fidélité au tyran. Cette classe d’hommes se pose comme une partie supérieure de la société, qui échappe aux lois qui règlent la vie en société et utilisent les biens publics sans scrupule. La personne qui exerce le pouvoir le confisque, le gère comme sa propriété et empêche alors l’émergence d’autres forces, d’autres manières de penser et d’agir susceptibles de construire la société. Ce phénomène favorise la corruption.

La corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle conduit en général à l’enrichissement personnel du corrompu ou à l’enrichissement de l’organisation corruptrice (groupe mafieux, entreprise, club, etc…). Sur les plans sociopolitiques ou économiques par exemple, la corruption consiste à agir ou à faire agir quelqu’un contre son devoir ou sa conscience. C’est aussi une présence envahissante des siens au sein de l’appareil politique et économique, un manque au devoir de justice qui devrait promouvoir l’équilibre social. C’est un phénomène qui se retrouve à tous les niveaux de la vie sociale et politique. Les hauts dirigeants des secteurs publics et privés détournent une part substantielle des ressources nationales et de l’aide extérieure. Ce phénomène s’étend aussi au niveau planétaire. En effet, pendant longtemps et jusqu’à nos jours, le tiers-monde demeure le lieu d’approvisionnement de certains réseaux planétaires et par l’aide des chefs d’Etats, les pays sont pillés, ceux-ci prenant leur part du gâteau. Par ces deux phénomènes, les ressources nationales sont accaparées par une minorité au détriment de la grande masse vivant dans la misère.

Dans l’œuvre, vous proposez un modèle politique. Lequel ?

Le modèle politique que nous proposons dans l’œuvre est « l’Etat fort ».

Sur quoi doit reposer ce modèle politique ?

Ce modèle politique repose sur la force des lois et de la Constitution. Pour nous, l’Etat fort est cet Etat dans lequel tout est régi par la loi et nul, même le Chef de l’Etat, n’échappe au pouvoir de la loi. C’est aussi un Etat dans lequel toutes les institutions sont instaurées et fonctionnent sans aucune influence extérieure.

Quel est le modèle politique promoteur du bien commun ?

C’est justement ce modèle politique appelé « Etat fort » qui doit devenir promoteur du bien commun.

Votre œuvre est subdivisée en trois parties. Dans la deuxième partie qui comporte huit chapitres, vous évoquez les entraves au respect du bien commun. Dans un petit résumé, quelles sont ces entraves ?

Nous avons consacré la deuxième partie de notre œuvre à analyser les entraves au respect du bien commun. Il se dégage donc que la transposition de l’indifférenciation pour la vérité dans la vie politique et le désenchantement des peuples en raison de la situation sociale provoquent des attitudes qui hypothèquent l’idée de bien commun. Du coup, la corruption et le népotisme s’installent : chaque fois que certains hommes politiques africains dépensent d’énormes sommes d’argent public pour édifier des œuvres architectoniques de prestige, qu’ils s’approprient les biens de l’Etat ou qu’ils soustraient arbitrairement des fonds publics destinés à des investissements créateurs d’emplois, chaque fois qu’ils profitent de leurs positions administratives pour y pratiquer l’injustice et le favoritisme, c’est le bien commun qui est entravé. A cet effet, certains notent que « ces pratiques ont accentué la pauvreté et l’exclusion de millions de citoyens africains. La persistance de la pauvreté et l’exclusion croissante d’une grande partie de la population semblent interdire aujourd’hui toute initiative de réformes économique et politique en vue du bien commun ». A cet imbroglio sociopolitique et économique au niveau interne, se sont ajoutées les stratégies de pillage de minerais par les réseaux planétaires : en complicité avec quelques chefs d’Etat, les réseaux planétaires ont programmé et exécuté le pillage des richesses du pays.

Quelles solutions préconise votre ouvrage ?

Notre ouvrage préconise de refonder la démocratie par la mise en place d’un Etat Fort à travers une communauté d’hommes en vue d’atteindre une fin donnée : la prospérité de la communauté humaine. Dans cet Etat, l’autorité doit être coercitive et doit s’adonner à faire respecter l’ordre social, à créer une unité qui solidarise en son sein et avec d’autres sociétés. Il s’agit donc de créer un environnement qui travaille à l’épanouissement des citoyens dans la cité.

Si la démocratie piétine encore aujourd’hui dans les pays d’Afrique, c’est la faute à qui ou quels sont les facteurs de ce retard ?

Sur cette question, les responsabilités sont partagées. D’une part il se fait que les chefs d’Etat africain sont sous le coup de la personnalisation et qu’ils gèrent les Etats à leur guise. Nous avons vu plus haut cette personnalisation du pouvoir est une porte et une fenêtre grandement ouverte à la dictature et à la corruption. Mais il y a aussi le fait que les politiques africaines sont encore attachées au cordon ombilical de la métropole de laquelle ils reçoivent des ordres et des influences. Tant que les chefs d’Etat africain ne feront pas la différence entre le pouvoir et leur personnalité, tant qu’ils ne s’émanciperont pas de la métropole ou de certains réseaux planétaires, la stabilité de la démocratie laissera à désirer.

Comment doit être un Etat pour garantir le bien commun ?

Pour garantir le bien commun, L’Etat doit être fort et se doter d’une éthique politique et d’une éthique de l’altérité. En effet, l’Ethique recherche en politique le critère normatif ou les repères conceptuels les plus significatifs pour créer avec assurance entre les hommes d’une société une cohésion sociale qui tout en personnifiant l’individu, maintienne l’unité nécessaire au bien commun. Car la crise du politique qui se met en dehors des valeurs éthiques, se solde irréversiblement par le chaos social : corruption, conflits tribaux et ethniques, génocide, en un mot destruction de la personne humaine. Il faut donc entendre par éthique politique la science de la conduite de l’Etat et de la société selon un ordre moral vivifiant. Elle s’intéresse à la dignité de la personne humaine qui, dans l’expression de sa liberté, œuvre à l’instauration de la justice sociale qui s’énonce dans les principes de solidarité et de subsidiarité et dans la recherche fondamentale du bien commun. Mais cela suppose d’abord une volonté réelle de créer une société sur les valeurs humaines universelles.

Elle nécessite une correcte appréhension philosophique du phénomène social, des hommes et de la société ; une recherche des normes morales qui permettent une juste connaissance de la quintessence et de la réalité de la vie politique et de l’Etat. L’Etat garant du bien commun doit se doter d’une éthique altruiste qui passera forcément par une véritable éducation. Or le but que poursuit la véritable éducation est de former la personne humaine dans la perspective du bien des sociétés dont l’homme est membre, et dont, une fois devenu adulte ; il aura à partager les obligations. Cette tâche fondamentale, l’Etat devra en attribuer la responsabilité aux institutions éducatives que sont la famille, l’école et la religion qui transmettront aux citoyens les valeurs dont ils ont besoin pour construire leur société.

Source: Ici Lomé

InfoANS

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