« JE CRUS, JE PROMIS, JE GUÉRIS! » Artémide Zatti : Évangile de la vocation et Église du soin
Spécial

12 septembre 2022

Lettre du Recteur Majeur, le Père Ángel Fernández Artime, quelques jours avant la canonisation d'Artemide Zatti (9 octobre 2022).

« La mosaïque de nos saints et bienheureux, bien qu’assez riche en termes de représentation ⸻Fondateur, Cofondatrice, Recteur Majeur, missionnaires, martyrs, prêtres, jeunes⸻ manquait encore de la pièce précieuse que constitue la figure d’un Coadjuteur. Cela aussi est en train de se réaliser. »

C’est ainsi que Don Juan Edmundo Vecchi, huitième successeur de Don Bosco, commence sa lettre à l’occasion de la béatification d’Artémide Zatti.

S’il manquait une pièce à la « mosaïque de nos saints », aujourd’hui cette mosaïque a un éclat tout particulier car, dans quelques semaines, nous recevrons un grand cadeau du Seigneur : voir l’un des fils de Don Bosco, frère salésien, émigré italien en Argentine et infirmier, canonisé par le pape François le 9 octobre 2022.

Artémide Zatti sera donc le premier saint salésien non-martyr à être canonisé. La canonisation du premier saint salésien et d’un coadjuteur salésien donne et donnera sans aucun doute une touche de complétude à la série de modèles de spiritualité salésienne que l’Église déclare officiellement comme tels.

Je rapporte le beau témoignage personnel, plein de profondeur spirituelle et de foi, fait par Artémide Zatti en 1915 à Viedma, à l’occasion de l’inauguration d’un monument funéraire placé sur la tombe de Père Evasio Garrone (1861-1911), missionnaire salésien valeureux et considéré par Artémide comme un éminent bienfaiteur.

« Si je suis en bonne santé et en état de faire du bien à mes voisins malades, je le dois au Père Garrone, médecin, qui, voyant que ma santé empirait chaque jour, puisque je souffrais de tuberculose avec de fréquentes hémoptysies, me dit catégoriquement que, si je ne voulais pas finir comme tant d’autres, je devais faire la promesse à Marie Auxiliatrice de rester toujours à ses côtés, l’aidant à soigner les malades, et lui, confiant en Marie, me guérirait.

Je crus, car je savais de réputation que Marie Auxiliatrice l’avait aidé de manière visible.

Je promis, car j’ai toujours voulu être utile à mes semblables.

Et Dieu ayant entendu son serviteur, je guéris. [Signé] Artémide Zatti. »

Nous voyons que la vie salésienne d’Artémide Zatti, selon ce témoignage, est basée sur trois verbes qui témoignent de sa solidité généreuse et confiante.

           

Pour apprécier le don de sainteté de ce grand coadjuteur salésien, nous voudrions méditer sur ces trois verbes et leurs extraordinaires fruits de bien, afin qu’ils touchent profondément les désirs, les rêves et les engagements de notre Congrégation et de chacun de nous et qu’ils favorisent en nous tous une fidélité renouvelée et féconde au charisme de Don Bosco.

                

Profil d’Artémide Zatti

Artémide Zatti est né à Boretto (Reggio Emilia) le 12 Octobre 1880 d’Albina Vecchi et de Luigi Zatti. Sa famille paysanne l’a élevé dans une vie pauvre et laborieuse, éclairée par une foi simple, sincère et forte, qui a guidé et nourri sa vie.

À l’âge de neuf ans, Artémide, afin de contribuer à l’économie familiale, travaille comme ouvrier pour une famille aisée.

En 1897, les Zatti émigrent en Argentine et se s’installent à Bahía Blanca. Artémide arrive dans cette ville à l’âge de dix-sept ans et, dans le milieu familial, il a rapidement appris à faire face aux difficultés et aux responsabilités du travail. Il trouve du travail dans une usine de briques et, en même temps, cultive et mûrit une relation profonde avec Dieu, sous la direction du salésien Don Carlo Cavalli, son curé et directeur spirituel. Artémide trouve en lui un véritable ami, un confesseur avisé et un directeur spirituel authentique et expert, qui l’éduque au rythme quotidien de la prière et à la vie sacramentelle hebdomadaire. Avec le père Cavalli, il établit une relation spirituelle et de collaboration. Dans la bibliothèque de son curé, il a l’occasion de lire la biographie de Don Bosco et en est fasciné. C’est le véritable début de sa vocation salésienne.

En 1900, à l’âge de vingt ans, Artémide, invité par le Père Cavalli, demande à entrer dans l’aspirantat salésien de Bernal, une ville proche de Buenos Aires.

Cependant, en 1902, alors qu’il était sur le point d’entrer au noviciat, Artémide contracte la tuberculose. Don Vecchi raconte dans sa lettre : “ Comptant sur sa responsabilité, les supérieurs lui confient les soins d’un jeune prêtre souffrant de tuberculose. Zatti s’acquitte de cette tâche avec générosité, mais peu de temps après, il est frappé par la même maladie » .

Gravement malade, il retourne à Bahía Blanca et Don Cavalli l’envoie à Viedma, le confiant aux soins du salésien Don Evasio Garrone, compétent ⸻ grâce à sa grande expérience ⸻ en médecine et directeur de l’hôpital San José fondé par Mgr Cagliero.

Je pense qu’il est très significatif de rappeler qu’à Viedma Artémide a rencontré Ceferino Namuncurá ⸻ aujourd’hui bienheureux ⸻ de Buenos Aires, qui, comme lui, souffrait de la tuberculose. Les deux hommes, bien que d’âges différents, ont vécu dans une relation cordiale et amicale jusqu’à ce que Ceferino parte en 1904 pour l’Italie avec l’évêque Juan Cagliero.

Après deux ans de traitement à Viedma avec des résultats insatisfaisants, Don Garrone invite Artémide à demander la guérison par l’intercession de la Sainte Vierge, faisant le vœu de consacrer toute sa vie au soin des malades. Ayant fait ce vœu avec une foi vive, Artémide fut guéri et, en 1906, il commença son noviciat.

En raison des risques liés à son état de santé antérieur, Artémide a dû renoncer à son intention de devenir prêtre et a fait profession comme coadjuteur chez les salésiens de Don Bosco le 11 janvier 1908. Ce fait a signifié pour Artémide une grande croissance dans la foi. En fait, il n’a pas abandonné son désir de devenir prêtre salésien et a continué à penser à une vocation sacerdotale dans la Congrégation salésienne, surtout lorsque sa santé semblait s’améliorer. Il est donc touchant de constater son attachement indéfectible à sa vocation, même lorsque la maladie semblait l’empêcher de suivre cette voie. Nous lisons, par exemple, ce qu’il écrivait à ses proches le 7 août 1902 : « Je vous fais savoir que c’était non seulement mon désir, mais aussi celui de mes supérieurs, de porter la sainte soutane ; mais il y a un article de la Sainte Règle qui dit qu’il ne peut recevoir l’habit, celui qui subit la moindre atteinte à sa santé. Ainsi, si Dieu ne m’a pas trouvé digne de l’habit jusqu’à présent, je compte sur vos prières pour que je sois bientôt guéri et que je puisse ainsi satisfaire mon désir » .

« Mais finalement les Supérieurs, étant donné toutes les circonstances de maladie et même d’âge (23-24 ans), ont dû proposer à Zatti de professer comme coadjuteur salésien. Il est vrai que “ c’est à la consécration totale à Dieu dans la vie salésienne qu’aspirait en premier lieu Artémide » .

À ce moment décisif de sa vie, Zatti est également sur la voie de la maturité. La lettre de Vecchi : « Prêtre ? Coadjuteur ? disait-il lui-même à un confrère : Tu peux servir Dieu comme prêtre ou comme coadjuteur : devant Dieu, une chose vaut autant que l’autre, pourvu que tu la vives comme une vocation et avec amour ».

Le 11 février 1911, il prononce ses vœux perpétuels et, la même année, après le décès de Don Garrone, il prend la relève, d’abord comme chef de la pharmacie rattachée à l’hôpital San José de Viedma, puis ⸻ à partir de 1915 ⸻ comme chef de l’hôpital lui-même. L’hôpital et la pharmacie deviennent le champ d’action d’Artémide.

Ainsi, à partir de 1915, pendant 25 ans, avec beaucoup d’énergie, de sacrifice et de professionnalisme, Zatti a été l’âme de l’hôpital qui, cependant, a dû être démoli en 1941 : les supérieurs salésiens ont décidé d’utiliser le terrain occupé jusqu’alors par la structure sanitaire pour la construction de l’évêché.

Artémide souffrit intensément à l’idée de la démolition, mais dans un esprit d’obéissance, il accepta la décision et déplaça les malades dans les locaux de l’école agricole de Saint Isidore, où il créa une nouvelle structure pour le soin et l’assistance des malades et des pauvres.

Après d’autres années de service intense, désormais exonéré des responsabilités de l’administration de la santé, en 1950, après une chute lors d’un travail de réparation, les examens cliniques révèlent une tumeur au foie pour laquelle il n’existait aucun traitement. Il a accepté et vécu consciencieusement avec l’évolution de la maladie. En fait, il a lui-même préparé, pour le médecin, le certificat de sa propre mort ! Les souffrances n’ont pas manqué, mais il a passé les derniers mois à attendre le dernier instant, prêt à rencontrer le Seigneur. Il dit lui-même : « Il y a cinquante ans, je suis venu ici pour mourir et je suis arrivé jusqu’ici, que puis-je souhaiter de plus maintenant ? D’un autre côté, j’ai passé toute ma vie à me préparer pour ce moment...»

Sa mort survient le 15 mars 1951 et la nouvelle se répand et mobilise la population de tout Viedma pour un hommage de gratitude à ce salésien qui a consacré toute sa vie aux malades, surtout les plus pauvres. En effet, « tout Viedma saluait le ‘parent de tous les pauvres’, comme on l’appelait depuis longtemps ; celui qui était toujours disponible pour accueillir les personnes particulièrement malades et celles qui arrivaient de la campagne lointaine ; celui qui pouvait entrer dans les maisons les plus douteuses à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, sans que personne ne puisse insinuer le moindre soupçon à son sujet ; celui qui, bien que toujours dans le rouge, avait maintenu un rapport singulier avec les institutions financières de la ville, toujours ouvert à l’amitié et à la collaboration généreuse avec ceux qui composaient le corps médical de la petite ville. »

Les funérailles, avec une foule impressionnante, ont confirmé la réputation de sainteté qui entourait Artémide Zatti et qui a conduit à l’ouverture du processus diocésain à Viedma (22 mars 1980). Le 7 juillet 1997, Zatti a été déclaré Vénérable et le 14 avril 2002, il a été proclamé Bienheureux par Saint Jean Paul II.

La pédagogie de Dieu dans ses saints

Pour approcher la figure d’Artémide Zatti, l’orientation d’un principe théologique, dense de sens et repris par Hans Urs von Balthasar, est précieuse,

« Seule l’image [de Jésus] que l’Esprit présente à l’Église a été capable, au cours des millénaires de l’histoire, de transformer les hommes pécheurs en saints. C’est précisément sur la base de ce critère du pouvoir de transformation que doit être mesurée la valeur d’une interprétation de Jésus qui prétend nous transmettre une connaissance de Lui. »

Par ces mots, Balthasar souligne une évidence qui a toujours accompagné l’histoire de l’Église: l’action de l’Esprit se manifeste comme une force transformatrice dans la vie humaine, témoignant de l’actualité et de la vitalité pérennes de l’Évangile. De cette façon, la bonne nouvelle de Jésus continue à vivre et à se répandre selon la règle de l’incarnation et, surtout dans la chair et la vie des saints, par leur profond consentement à l’Esprit, Pâques resplendit dans l’actualité historique du ici et maintenant toujours nouveau, où mûrissent les merveilles qui confirment la foi de l’Église.

Les saints sont donc des réalisations de l’Esprit qui offrent, avec la simplicité d’une vie transfigurée, des traits précis du Fils, donnés par le Père à l’œuvre du monde, dans le temps présent et dans la proximité des lieux qui ont besoin de salut et d’espérance.

Si Dieu guide son Église à travers la vie obéissante de ses enfants les plus dociles et les plus audacieux, l’histoire de chacun d’entre eux doit avant tout refléter l’Évangile, en transformant une biographie juste en hagiographie, puis en reconnaissant les semences pascales capables de faire naître des chemins ecclésiaux renouvelés dans le peuple de Dieu.

Artémide Zatti confirme cette règle de sainteté : L’hagiographie est la lumière de l’Esprit libérée par la simplicité de sa biographie, si convaincante parce qu’elle est habitée par la plénitude de l’humanité, et si surprenante qu’elle rend visible « un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,1) ; ainsi, les semences de Pâques, données par la vie de ce coadjuteur salésien au champ du monde, ont transformé des lieux de souffrance ⸻ les hôpitaux de San José et de Saint Isidore ⸻ en semis extraordinairement rayonnants d’espérance chrétienne. « C’est une présence sociale, toute animée par la charité du Christ qui le poussait intérieurement. »

Il est donc possible de méditer sur le don que l’Esprit fait au monde, à l’Église, à la Famille salésienne avec la sainteté de Zatti, en se concentrant d’abord sur l’éclat de sa biographie : ⸻ un Évangile, pleinement incarné par la vocation, de confiance et de dévouement ⸻ pour considérer ensuite la puissance pascale de son apostolat qui a construit, dans ses hôpitaux, l’Église du soin, de la proximité, du salut, de la corédemption, pour nourrir la foi du peuple de Dieu.

Si nous voulons exprimer brièvement le secret qui a inspiré et guidé la vie, les pas, les travaux, les engagements, la joie, les larmes d’Artémide Zatti, les mots de Don Vecchi sont exhaustifs : « A la suite de Jésus, avec Don Bosco et comme Don Bosco, partout et toujours. »

 

1.     UN HOMME D’ÉVANGILE

1.1 L’Évangile de la vocation : « Je crus ».

L’histoire d’Artémide Zatti est frappante, avant tout, pour sa particularité professionnelle. C’est une vocation lumineuse car elle a été purifiée par une mystérieuse pédagogie de Dieu qui se déploie dans sa vie à travers des médiations et des situations diverses et exigeantes. La vie chrétienne est le souffle partagé de la famille d’Artémide, qui lit tout à la lumière du mystère de Dieu ; ce sera la deuxième patrie argentine, atteinte par l’émigration, où se manifestera l’enracinement des Zatti dans une foi peu commune. Le cardinal Cagliero écrit :

« Nos compatriotes, même ceux qui appartiennent aux populations les plus religieuses d’Italie, sont arrivés ici et semblent changer de nature. L’amour immodéré du travail, l’indifférence religieuse qui domine dans ces villages, les mauvais exemples très fréquents [...] opèrent une transformation incroyable dans l’esprit et dans le cœur de nos bons paysans et artisans, qui, en échange de quelque bouclier qu’ils gagnent, perdent la foi, la moralité, la religion. »

La famille Zatti ne succombera pas à l’influence de ce milieu, mais sera marquée par une pratique religieuse fervente, sincère, courageuse, libre par rapport aux égards humains ; et Artémide continuera à entretenir dans la famille un rapport intense avec Dieu, soutenu par la prière, le travail, la droiture, à tel point que

« tout porte à croire [...] que la formation religieuse que le serviteur de Dieu a reçue dans son enfance et dans sa première jeunesse [...] a dû être privilégiée et de nature à expliquer les attitudes spirituelles qu’il a ensuite conservées tout au long de sa vie. »

L’expérience d’Artémide reflète la discrétion lumineuse du « haut niveau »  de la vie chrétienne ordinaire (Novo Millennio Ineunte, 31), fruit d’un enracinement exclusif en Dieu, d’une foi vécue comme une obéissance courageuse et radieuse parce que libre, heureuse et féconde.

Lorsque le salésien Don Cavalli, curé de la paroisse et guide d’Artémide dans les voies de l’Esprit, devra soutenir son orientation définitive dans la vie, son discernement sera sobre et clair: il constatera que l’appel à se donner totalement à Dieu, comme prêtre, résonne dans le cœur de ce jeune homme de manière intégrale et pure, non contaminée par la recherche de soi et de l’intérêt personnel, mais enflammée par le désir de servir l’Évangile du Royaume.

Et Dieu, à travers la singulière disponibilité d’Artémide au don de lui-même, ne se limite pas à appeler, mais peut s’étendre, avec le signe incontestable de sa présence : la croix du Fils. Ainsi, le sceau de la prédilection de Dieu devient reconnaissable au cœur du discernement vocationnel de ce jeune homme désireux de devenir prêtre : Artémide, accueilli à Bernal comme aspirant, est sollicité pour un service risqué, le soin d’un prêtre tuberculeux ⸻comme mentionné plus haut⸻. Le service non calculé amène Artémide à contracter à son tour la maladie qui exigera le sacrifice du rêve vocationnel : Zatti sera salésien, mais pas prêtre.

Nous reconnaissons ici la force de l’Évangile accueilli sans condition dans la vie des saints ; une force qui suscite une réponse vocationnelle pure parce qu’elle est gardée par un cœur non seulement détaché du mal ⸻ condition essentielle pour écouter la voix de Dieu ⸻ mais aussi capable de liberté à l’égard du bien, condition essentielle d’une foi de pierre dans l’Absolu de Dieu.

Marchant dans l’obscurité lumineuse de la foi, Artémide sacrifie le désir de servir l’Église dans la forme ministérielle du sacerdoce, en embrassant toutefois son essence, selon le Christ qui, « poussé par l’Esprit éternel, s’est offert lui-même à Dieu comme une victime sans défaut »  (He 9.14).

Les caractéristiques de l’Évangile de la vocation sont ainsi reconnues de manière indélébile dans la plénitude de l’abnégation qui scelle le début de la vie salésienne de Zatti bien avant qu’elle n’atteigne sa plénitude.

Et la fidélité à la forme laïque de la vie salésienne, embrassée par pur amour de Dieu, sera pleine et convaincue, loin de tout regret, développée dans une existence convaincante et satisfaite.

C’est l’évangile de la vocation, la bonne nouvelle de l’appel de Dieu réservé individuellement à chacun de ses enfants, un appel dont Dieu seul connaît le sens, les motivations, le destin, le développement concret. Un appel qui ne devient perceptible que dans la pure correspondance de l’amour qui, à son tour, “ veut se libérer du plus dangereux adversaire : sa propre liberté de choix » . Tout amour véritable a donc la forme interne du vœu : il est lié à l’être aimé, en raison de l’amour et dans l’esprit de l’amour.

L’Évangile de la vocation, dans la sainteté de Zatti, est l’Évangile de la foi pure : la bonne nouvelle de la saine respiration du cœur qui goûte la liberté dans l’obéissance au dessein de Dieu, gardien du mystère de chaque vie appelée à être un rameau fécond de la vraie Vigne, confiée à la sagesse du « Vigneron »  (Jn 15, 1).

Lue avec les « catégories »  de notre temps, la sainteté d’Artémide Zatti suscite donc la « peur de la vocation », une peur qui oppresse le cœur dans la méfiance devant le mystère de Dieu. L’Évangile de la vocation annoncé par la vie de ce saint coadjuteur salésien montre que c’est seulement en correspondant au rêve de Dieu qu’il est possible, à chaque époque et dans chaque situation, de surmonter la paralysie du moi, avec la pauvreté de son regard et de ses mesures, avec l’angoisse de son incertitude et de sa peur.

Lorsque Don Garrone ⸻ Salésien lui-même d’une éminente vertu, ainsi que d’une grande compétence médicale, acquise au service généreux des malades ⸻ exhorte Artémide, malade de la tuberculose, à demander la grâce de la guérison par l’intercession de la Vierge et avec le vœu de se consacrer toute sa vie aux malades, la foi de Zatti donne une bonne preuve d’elle-même : simple, désintéressée, sans réserve, enfermée dans deux mots: « Je crus ! »

« Je crus », quand un seul mot suffit pour dire la foi, parce que la foi est pure ; et seule cette foi est généreuse sur le plan vocationnel, à cause de la légèreté de sa pureté qui « donne des ailes au cœur et non des chaînes aux pieds » .

La sainteté d’Artémide Zatti arrive sur nos chemins de vocation, parfois fatigués et lourds, avec la force stimulante d’un « Je crus »  qui n’a jamais failli : le présent de la foi qui devient continu tout au long de la vie et la rend crédible. Sa foi était une union continue avec Dieu. Dans les témoignages recueillis, Monseigneur Carlos Mariano Pérez dit : « L’impression que j’ai eue était celle d’un homme uni au Seigneur. La prière était comme le souffle de son âme, tout son comportement montrait qu’il vivait pleinement le premier commandement de Dieu : il l’aimait de tout son cœur, de tout son esprit et de toute son âme. »

Nous sommes appelés à valoriser le témoignage de Zatti pour renouveler l’ardeur de notre pastorale des vocations et pour offrir aux jeunes l’exemple d’une vie que la solidité de la foi rend pleine, simple, courageuse, par la force de l’Esprit et la docilité de l’appel.

1.2 L’Évangile de la confiance : « Je promis ».

L’Évangile de la vocation, dont Zatti est le témoin, anime un deuxième verbe d’une importance fondamentale : promettre.

Aujourd’hui, nous faisons souvent l’expérience de la faiblesse des promesses humaines, de la peur du manque de fiabilité, de l’incapacité à être définitif : d’où les hivers vocationnels qui touchent la famille, la Congrégation dans de nombreuses parties du monde, l’Eglise, et qui rendent urgente l’annonce de l’Evangile, de l’appel de Dieu et de la réponse du croyant.

Von Balthasar, réfléchissant sur l’essence de la vocation, fruit de la foi authentique, écrit: « Il n’y a pas de chemin d’amour sans au moins une allusion à ce geste du don de soi. [...] [L’amour] veut résolument se remettre en place, se livrer, se contenir. Il veut déposer dans l’être aimé, une fois pour toutes, sa liberté de mouvement, pour lui laisser un gage d’amour. Dès que l’amour s’éveille vraiment à la vie, le moment temporaire veut être dépassé dans une forme d’éternité. L’amour pour un temps, l’amour avec interruption n’est jamais un véritable amour. »

Artémide Zatti, encore jeune et précisément à un grand moment d’épreuve, ressent l’appel à la plénitude de l’engagement de lui-même dans une promesse irrévocable et radicale ; lorsque, à l’âge mûr, témoignant de sa gratitude envers le Père Evasio Garrone, son bienfaiteur, il rappelle les débuts de son propre parcours de consécration, Zatti peut présenter succinctement le cœur de son adhésion juvénile à l’appel du Seigneur : « Je cru, je promis » .

Le « je promis »  de Zatti suit son « je crus » , mais il façonne aussi son radicalisme et sa qualité humaine et chrétienne.

Artémide croit parce qu’il promet et ne promet pas seulement parce qu’il croit : en lui nous voyons s’accomplir la règle de la foi qui, si elle ne peut compter sur la disposition à promettre, à se donner, tombe dans l’intérêt spirituel, dans la prévoyance et dans le contrat religieux.

Zatti n’attend pas de garanties pour risquer sa vie, il ne demande pas de recueillir le droit au « centuple ici-bas »  comme condition préalable pour jeter ses filets ; au contraire, “ il s’est offert avec une grande disponibilité pour assister un prêtre malade de la tuberculose et qui a contracté la maladie : il n’a pas dit un seul mot pour se plaindre, il a accepté la maladie comme un don de Dieu et en a supporté les conséquences avec force et sérénité. »

Ainsi, la générosité d’Artémide lui a couté, avant même la profession religieuse, et le prix à payer fut élevé : une maladie débilitante, un rêve vocationnel brisé, une souffrance aigüe et, surtout, une incertitude totale. Mais au carrefour de la foi et de la promesse, l’Évangile de la vocation fait des merveilles de sainteté dans cette vie, depuis le temps de sa jeunesse.

La promesse de Zatti est pure, désintéressée, comme sa foi, et elle fait ressortir l’intégrité de l’abandon au projet de Dieu et la générosité du don et de l’engagement de soi, en faisant preuve d’une authentique profondeur théologique : Artémide fait sienne la vie du Fils obéissant qui se laisse totalement choisir et destiner, par l’amour du Père, au salut du monde.

L’alphabet vocationnel de Zatti est aussi profond qu’il est simple et clair : « J’ai cru, j’ai promis ». Zatti croit et promet avec un radicalisme évangélique parce qu’il a déjà adopté la Passion du Seigneur comme règle de sa foi et de son dévouement, comme il ne se lasse pas de le répéter dans ses lettres à sa famille : « Nos croix sont nos joies, notre consolation est de souffrir, notre vie est faite de larmes, mais avec à nos côtés le compagnon toujours cher et inséparable, l’espoir d’atteindre le beau paradis, quand notre pèlerinage sur terre sera achevé. »

La croix est la règle de la foi, et enseigne que la foi chrétienne ne consiste pas simplement à savoir quelque chose, mais à se confier à Quelqu’un, promettant non pas quelque chose, mais soi-même. Formé par la croix, Artémide, avant même de s’engager sur le chemin de la vie religieuse, ne promet pas simplement mais fait des vœux, et reflète ainsi les traits du Fils qui « en entrant dans le monde, [...] dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Alors, j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre. » (He 10, 5-7)

Et, toujours à l’école du Seigneur Jésus, Zatti apprend que la radicalité de la promesse de soi correspond à l’audace croissante de la foi. Celui qui se donne entièrement à Dieu peut s’abandonner à la certitude de tout recevoir de Lui, et Artémide ne se lasse pas de nous le rappeler dans ses lettres : « Je vous exhorte à n’avoir ni peur ni honte de demander des grâces. Demandez et vous recevrez ; et plus vous demanderez, plus vous recevrez ; car celui qui demande beaucoup reçoit beaucoup, celui qui demande peu reçoit peu, et celui qui ne demande rien ne reçoit rien.

Je ne vais pas énumérer les grâces que vous devez demander, vous le savez bien. Je n’en place qu’une seule devant vos yeux, et c’est que nous puissions tous aimer et servir Dieu dans ce monde et ensuite en jouir dans l’autre. »

1.3 L’évangile de l’offrande de soi: « Je guéris».

« Guérir » est le verbe avec lequel Zatti scelle l’événement qui l’introduit dans la vie salésienne.

Que signifie « Je guéris » ? Certes, la tuberculose qui avait miné sa santé fut vaincue par Zatti et d’une manière qui a surpris les médecins : « Dans le procès de Viedma, le tribunal se demande si la guérison a été miraculeuse. A notre connaissance, l’instantanéité ne pouvait pas la qualifier comme telle, mais, selon les médecins [...] qui ont bien connu Zatti jusqu’à sa mort, elle était extraordinaire à cause de la rareté et de l’inefficacité des traitements de l’époque, à cause de la continuité de la guérison et de la force physique plus que normale dont le serviteur de Dieu a toujours joui, malgré sa vie de privations. L’intervention de la Vierge semble indéniable, qu’il s’agisse d’un miracle ou d’une grâce extraordinaire. »

Le doigt de Dieu, cependant, a agi selon son style inimitable : il n’a pas éradiqué le mal en ramenant la vie d’Artémide à son état antérieur, ni percé le mystère inhérent à tout plan divin et à toute existence humaine. Ainsi, comme nous le savons, « les supérieurs, tout en notant les améliorations de la santé du serviteur de Dieu, ne devaient pas être pleinement persuadés de ses possibilités futures. La tuberculose, à cette époque, ne donnait jamais la certitude d’une guérison définitive ; le curriculum des études que le Serviteur de Dieu aurait dû affronter, à son âge (23-24 ans), était encore long et certainement pas adapté à un tuberculeux ; lui, par contre, avait déjà commencé à travailler avec succès et satisfaction de la part de tous à la Pharmacie, dans une occupation propre à un laïc ; peut-être le Père Garrone lui-même avait-il fait quelque pression pour l’avoir avec lui dans son travail. Les Supérieurs, étant donné toutes ces circonstances, ont dû proposer à Zatti ⸻ qui certainement, pour tout ce qui est consigné dans ses écrits, avait décidé de quitter le monde et de se consacrer à Dieu ⸻ de persévérer dans son intention de se consacrer à Dieu, de professer comme coadjuteur salésien (frère laïc) : la solution semblait la plus prudente étant donné sa santé encore incertaine : un travail matériel demandait moins d’effort que celui exigé par une longue période d’études sévères. »

Le mystère de Dieu s’épaissit avec la guérison ; et, pour la foi d’Artémide, une purification peut-être plus sévère que celle imposée par la perte de la santé est exigée : le sacrifice de l’orientation vocationnelle.

Ainsi, Artémide est amené à approfondir le chemin de purification que Dieu exige de lui : la délivrance de la maladie n’est pas une reprise de force, qui permet à un jeune homme entreprenant de « retrouver sa vie ». À sa manière, la guérison est le désert d’une nouvelle pauvreté, de sorte que la vie de Zatti devient un espace libre pour Dieu dans la radicalité d’un nouvel abandon.

Dieu guérit Artémide de la tuberculose pour renouveler en lui le miracle du salut de l’attachement à lui-même, du détachement même de ses bons projets : « Il faut croire que l’abandon de l’aspiration au sacerdoce a été pour le serviteur de Dieu une grande souffrance spirituelle, tant étaient grands l’enthousiasme et l’esprit de sacrifice avec lesquels il avait entrepris le chemin vers ce but. Pourtant, il est merveilleux, et c’est un signe d’une force spirituelle extraordinaire, le fait que pas un mot de lamentation, de regret ou de nostalgie n’apparaisse jamais [...] pour ce changement dans la perspective de sa vie. »

« Je guéris » est alors la voix de la cohérence dans l’alphabet vocationnel de Zatti. Lorsque Dieu appelle et que sa créature répond, l’Esprit ne se limite pas à réparer la précarité humaine mais réalise le rêve de Dieu : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Ainsi, si la maladie incline le cœur humain à se replier sur lui-même, la croyance et la promesse de Zatti, nourries par l’amour du Seigneur Jésus et de la Croix, produisent la vraie santé : un plus grand oubli de soi et une condescendance inconditionnelle envers Dieu, qui le conduit à être l’humble apôtre des plus pauvres, des malades et, parmi eux, à devenir l’apôtre des cas les plus étranges ; bref, des abandonnés et des rejetés de ce monde.

Artémide, renaissant à une plus grande pauvreté, se donne davantage, dans une confiance pleine et active, au plan du Père : « Ex auditu, je peux dire que [dans la vie du serviteur de Dieu] il y avait une volonté générale que Dieu soit glorifié. De ce que j’ai connu de lui, je peux vous assurer qu’il a vécu pour la gloire de Dieu. »

La subordination de tout à la gloire de Dieu et le sacrifice de ses propres projets ⸻ y compris les projets pour faire du bien ⸻ au profit de la sagesse de Dieu, qui seule réalise la plénitude de l’Amour, seront essentiels non seulement pour l’expérience spirituelle de ce salésien extraordinaire, mais aussi pour la pédagogie de la souffrance qu’il devra pratiquer en raison de la spécificité de sa mission.

Dans le « Je guéris » de Zatti s’accomplit non seulement une grâce mais une école, et toutes deux sont modelées par le doigt de Dieu pour le bien de ses frères : libéré de la maladie, Artémide servira les malades toute sa vie, après avoir subi la vraie guérison qui fera de lui le vrai médecin des créatures sur lesquelles il s’appuiera.

« Il faisait souvent le signe de la Sainte Croix et le faisait faire aux malades, il aimait l’enseigner aux enfants. Pour lui, foi et médecine formaient une symbiose ; sans foi, il ne pouvait pas guérir, ni sans médecine. Il ne voyait pas non plus de dichotomie entre l’âme et le corps ; l’homme était une seule et même chose, et il prenait soin de cet homme : corps et âme. »

Ce n’est que parce qu’il a été conduit par la main de Dieu à faire l’expérience de la guérison en mourant à lui-même que Zatti pourra s’approcher des malades avec le médicament de l’Amour incarné et crucifié, en dispensant réconfort, lumière et espoir.

2. UN TÉMOIN DE PÂQUES

Si dans la vie de Zatti ⸻ par la manière dont il a été rejoint par l’appel de Dieu ⸻ l’Évangile de la vocation resplendit de manière originale et très contemporaine, ses semailles apostoliques se réalisent comme un art du soin dans la lumière de Pâques.

La cohérence pascale est la règle de fidélité de tout apostolat chrétien : chez les saints, la pratique de cette règle atteint sa splendeur, apportant la vie de Dieu aux combats des hommes, de l’histoire, du monde, édifiant ainsi l’Eglise.

Zatti a pratiqué avec une passion pascale la lassitude de la souffrance humaine et a ainsi construit l’Eglise comme un véritable hôpital de campagne (comme le Pape François continue à le répéter aujourd’hui), précisément en transformant deux hôpitaux édifiés « au bout du monde » en cellules vivantes de l’Eglise.

Les hôpitaux de Saint Joseph d’abord et de Saint Isidore ensuite ont été, entre la fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle, une ressource sanitaire précieuse et unique pour le soin, surtout, des pauvres de Viedma et de la région de Río Negro : l’héroïsme de Zatti les a transformés en lieux d’irradiation de l’amour de Dieu, où les soins de santé sont devenus une expérience de salut.

Zatti a imité dans sa vie la parabole du bon Samaritain. Le Samaritain, c’est le Christ, le Dieu proche (dans son Fils bien-aimé) qui ne connaît pas l’indifférence et le mépris, mais qui s’offre, par avance, à guérir même le dernier de ses fils et de ses filles, par la proximité de l’amour, afin que le mal de l’histoire ne condamne aucun de ces petits à périr hors de Jérusalem.

Voilà le miracle de Dieu : sur ce morceau de terre de Patagonie, où se déroule la vie de Zatti, une page de l’Évangile prend vie. Le Bon Samaritain a trouvé un visage, des mains et une passion, surtout pour les petits, les pauvres, les pécheurs, les plus démunis. C’est ainsi qu’un hôpital est devenu l’Auberge du Père, signe d’une Église qui se veut riche en dons d’humanité et de grâce, par le don, le service et la mise en pratique du commandement de l’amour de Dieu et de son prochain.

Nombreux sont les témoins qui nous permettent de contempler l’expérience de l’Église accessible dans cet hôpital de campagne animé par le cœur enflammé de Zatti : en leur donnant la parole, surgit à nouveau la fascination d’Artémide, soucieux de guérir ceux qui se confient à lui, tant avec les remèdes de l’art médical, qu’avec la présence, la sympathie, la prière pour tous et avec tous, ainsi qu’avec l’expression quotidienne de la foi de cet humble salésien. Tout cela s’est avéré sans aucun doute plus efficace que de nombreux médicaments.

2.1. le soin et le service pascal (diakonia) d’une vie blessée

Là où il y a la sainteté, l’Église se répand, et là où l’Église est édifiée, il y a la sainteté. Celui qui a connu Zatti, celui qui a été accueilli dans son hôpital, a fait une expérience de fraternité et dans cette fraternité une expérience d’Eglise.

Zatti a vécu avec un radicalisme évangélique la certitude que le service, qui était sa caractéristique vocationnelle ⸻la diakonia⸻ rend le visage de l’Église crédible, reconnaissable, aimable. La porte du service fait appel au cœur de l’homme, surtout lorsqu’il est éprouvé par la vie et la souffrance, et ouvre sur l’expérience de la rencontre avec Jésus, le vrai bon samaritain, et Zatti s’est efforcé de vivre en bon samaritain. « L’hôpital et les foyers des pauvres, visités nuit et jour à vélo, aujourd’hui considérés comme un élément historique de la ville de Viedma, étaient l’horizon de sa mission. Il a vécu le don total de lui-même à Dieu et la consécration de toutes ses forces au bien de son prochain. »

Zatti est un témoin du service, et tout comme Jésus s’est donné jusqu’au bout, Zatti, sur les traces de son Seigneur, a réalisé un don de soi et une diaconie pleinement chrétiens, jusqu’à l’héroïsme. Les caractéristiques extraordinaires de la diaconie évangélique de Zatti méritent d’être soulignées par les paroles unanimes des témoins : l’universalité de son don de soi, la totalité de son offrande, la générosité née avec Dieu à ses côtés, dans l’obéissance envers Lui, réalisée en Lui et pour Lui.

Le fait que le service de Zatti ne connaissait pas de particularités et ne donnait pas de préférence aux personnes ne fait aucun doute chez ceux qui l’ont connu : « Je sais qu’il visitait la prison pour soigner les malades. Avec les non-croyants et les ennemis de l’Église, il était disponible et aimable. Je me souviens de la phrase d’un médecin qui, commentant le titre du livre du père Entraigas « Le parent de tous les pauvres » , disait qu’il aurait fallu le corriger en « parent de tous » à cause de l’équanimité avec laquelle [Zatti] ne faisait pas de distinction entre tous ceux qui le sollicitaient. »

Si, dans le service et le don de soi de Zatti, il y avait une préférence pour quelqu’un, c’était celle enseignée par le Bon Pasteur, sensible avant tout au sort des brebis les plus blessées et perdues : « Une de ses prédilections [Zatti] était le don total à Dieu de ces personnes humbles, sans défense ou atteintes de maladies répugnantes, à tel point que lorsque quelqu’un voulait les envoyer dans un hospice parce qu’elles étaient à l’hôpital San José depuis de nombreuses années, il répondait qu’il ne fallait pas abandonner ces véritables paratonnerres de l’hôpital. »

Zatti, en outre, servait de tout son être, se consumant avec une générosité non calculée dans les formes les plus diverses d’activité fébrile, orienté uniquement pour répondre aux demandes de tous : « Comme tous connaissaient sa bonté et sa volonté de servir les autres, tous s’adressaient à lui pour les choses les plus disparates. [...]

Les directeurs des maisons de la Province lui écrivaient pour avoir des conseils médicaux, ils lui envoyaient des frères pour les aider, ils confiaient à son hôpital pour des soins chroniques ceux qui étaient devenus invalides. Les Filles de Marie-Auxiliatrice n’étaient pas moins nombreuses que les Salésiens à demander des faveurs. Les émigrants italiens demandaient de l’aide, écrivaient en Italie, demandaient des stages ; ceux qui avaient été bien soignés à l’hôpital, en signe de gratitude, envoyaient des parents et des amis pour les aider en raison de l’estime dans laquelle ils tenaient leurs soins. Les autorités civiles avaient souvent des personnes incapables à réhabiliter et se tournaient vers Zatti. Les prisonniers et d’autres personnes, le voyant en bons termes avec les autorités, lui recommandaient de demander la clémence pour eux ou de trouver une solution à leurs problèmes. »

En outre, Zatti se distinguait par un service continu, jusqu’à l’oubli de soi et, précisément pour cette raison, il ne se laissait pas décourager devant les soupçons, l’ingratitude, les incompréhensions ou les demandes pressantes : « Chez le serviteur de Dieu, le souci du prochain dans son travail quotidien était extraordinaire ; du matin au soir, il vivait pour ses chers malades. Ces circonstances se sont multipliées pendant la nuit, où, quelle que soit l’heure à laquelle on l’appelait, il venait rapidement. [...] Je suis conscient qu’il a souvent eu à souffrir des exigences excessives de certains malades, des besoins démesurés, des caprices, comme c’est le cas [...] des patients atteints de maladies mentales. Le serviteur de Dieu n’a jamais perdu sa patience. Je me souviens l’avoir vu plus d’une fois monter par mauvais temps, froid et pluvieux avec son véhicule, un vélo, pas le dernier modèle, pour soigner les malades de la ville, en parcourant des rues peu praticables. »

Pour marquer profondément la diaconie, le service de Zatti à tous était de le faire en compagnie du Seigneur. La compétence de cet infirmier généreux n’était évidente pour personne, mais le fait qu’il soit en mission avec Jésus l’était tout autant : « Un fait personnel très concret : quand j’étais novice et ensuite jeune prêtre, je suis venu à Viedma à cause de quelques pustules que j’avais surtout sur le cou et le visage, et le serviteur de Dieu m’a accueilli toujours souriant, il m’a soigné en me cautérisant avec une pointe chaude, en fredonnant le Magnificat pendant que je travaillais et ensuite en m’encourageant à offrir ces souffrances pour la sainte persévérance dans la vocation. »

Une fois de plus, l’obéissance de Zatti à Dieu et à son plan brille comme l’âme d’un service humble et confiant, qui devait éveiller chez les pauvres et les malades des sentiments d’abandon à Dieu. Tout trouvait son inspiration en Dieu, et Zatti exécutait tout selon l’ordre de Dieu, de sorte que le service de ce grand salésien était une pratique continue et fascinante du précepte de l’amour : « Il aimait Dieu par-dessus tout. Pour lui, toutes les choses de cette terre étaient transitoires et secondaires. Pour moi, Zatti était constant, inébranlable dans son amour pour Dieu et dans sa piété.

Non seulement dans les actes de piété, mais dans tous les services rendus à son prochain, il avait toujours le nom de Dieu sur les lèvres. Il exhortait tous ceux qui lui étaient proches à vivre la piété. Zatti était toujours un exemple, sa piété était supérieure à l’ordinaire. »

Celle de Zatti, cependant, comme c’est toujours le cas pour les saints, est une diaconie, un service certes accompli dans l’obéissance à Dieu, mais surtout au nom de Dieu, en prêtant à Dieu son visage, son cœur, ses mains, avec la certitude ⸻source d’une grande audace⸻ d’être un petit instrument de son grand Pouvoir et de sa Providence. Ainsi, Zatti travaille avec une générosité extraordinaire, et dans un abandon total car il sait qu’en lui son Seigneur est à l’œuvre : « Il a toujours espéré et fait confiance à Dieu. La sérénité avec laquelle il surmontait les difficultés était une démonstration de son espérance en Dieu. Il disait toujours : “ Dieu y pourvoira » , mais il le disait avec une confiance et une espérance totales. »

Zatti, un croyant et un homme authentique, était « animé par la charité envers son prochain parce qu’il voyait le Christ souffrant dans chaque malade. La bonté qu’il manifestait aux malades était telle qu’il ne leur refusait rien. » ; « Pour le serviteur de Dieu, l’amour se manifestait dans la charité avec laquelle il assistait les “ autres Christs » . Dans sa conception évangélique selon laquelle ce que ses disciples font à leurs prochains, ils le font au Christ lui-même, le serviteur de Dieu se comportait avec charité envers tous, même s’ils étaient incroyants ou indifférents .»

Ou en vivant une Église de service, capable d’arriver chez les pauvres à vélo, ou en servant tous ceux qui s’adressaient à son hôpital - d’abord San José, puis San Isidoro ⸻ pour qu’ils y trouvent l’amour de Dieu. Zatti s’est donné entièrement à Dieu, devenant un serviteur du Seigneur, un véritable missionnaire de l’Église au nom du Seigneur Jésus.

2.2 La fraternité et la communion (koinonia) de Pâques dans la vie partagée

La sainteté de Zatti nous conduit au cœur de l’Église non seulement pour le caractère unique de sa diaconie, mais aussi pour la qualité de la communion qui s’est épanouie dans son don aux autres. Ce qu’a été la communion pour Zatti est attesté à la fois par les témoignages de ceux qui ont vu son action, et par la façon dont il a traversé les moments les plus épuisants qui ont marqué sa vie.

Un évènement particulièrement douloureux pour lui se produisit lorsque les supérieurs décidèrent de démolir l’hôpital de San José, auquel Artémide avait consacré toute son énergie ; il n’y avait pas de place pour l’évêché à Viedma ; et, afin de construire une résidence épiscopale convenable, il fut décidé de démolir l’ancien hôpital, avec la charge de déplacer tous les services sanitaires dans les locaux de l’école agricole de San Isidro, lieu de l’autre œuvre salésienne à Viedma.

Pour Zatti, la démolition n’était pas une simple question de batiment, c’était une épreuve cruelle et crucifiante : devant ses yeux, il n’y avait pas seulement les décombres d’un vieil hôpital, mais le doute qu’avec ces murs sa vie s’était effondrée et que ses renoncements et ses privations, ses malentendus et ses insomnies, ses maux de tête et ses sueurs, son dévouement aux autres et son abnégation s’étaient également arrêtés là. Zatti n’a pas été épargné par le calice, mais il est resté debout, avec force et douceur chrétienne : « au moment de la démolition de l’hôpital San José, il avait d’abord proposé de construire l’évêché ailleurs et d’échanger les terrains ; puis, devant l’inexorabilité de la démolition, qu’il [...] ressentait beaucoup en raison de son extrême sensibilité humaine, il ne s’est pas rebellé et n’a pas protesté ; au contraire, il a rassuré ceux qui cherchaient à le pousser à se rebeller. »

Comme toujours dans la vie des saints, l’épreuve est à la fois un creuset sombre et une démonstration lumineuse : Zatti, avec sa sérénité d’esprit et sa disponibilité à installer ailleurs un nouveau siège des services sanitaires, a démontré le fondement de son dévouement : le véritable hôpital qu’il a construit ne pouvait pas être réduit à néant, parce qu’il était une invention de la charité, de cette charité qui « n’a pas de fin » (1 Cor 13,8), et qui exprime le miracle de la communion, un reflet de la Vie éternelle de Dieu. Le véritable hôpital de Zatti n’était pas un bâtiment terrestre, dédié à Saint Joseph ou à Saint Isidore ; dans ces milieux, son professionnalisme accueillait tout le monde par la porte du service, afin qu’ils puissent faire une expérience vraie et pleine de la tendresse de Dieu.

Zatti n’a pas prêché le catéchisme de la communion, mais il l’a incarné dans sa sainteté ; et son hôpital n’était pas un bâtiment imposant, mais un miracle évident et quotidien de service et de communion. Ici, « le serviteur de Dieu dirigeait le personnel, composé de plusieurs personnes vivant à l’hôpital, comme un supérieur d’une communauté religieuse [...]. Le personnel l’aimait, le vénérait et suivait ses règles à la lettre. Du point de vue moral, spirituel et technique, personne n’a jamais manqué de ce qui était nécessaire pour l’accomplissement de ses engagements, et cela en raison de l’intérêt personnel du serviteur de Dieu. »

Tout le monde est convaincu que la stature spirituelle de Zatti a fait de lui l’architecte de la communion : « Pendant les années où j’étais à l’école au collège St. François de Sales, l’hôpital était une dépendance du collège et nous savions tout ce qui se passait ici comme là-bas. Je n’ai jamais entendu parler de querelles ou de malentendus entre les collaborateurs de Zatti qui auraient pu avoir une quelconque pertinence et provoquer des ragots dans le village ou à l’école. »

Quand la communion chrétienne se réalise, elle ne passe pas inaperçue à cause de sa beauté qui bouleverse un monde affecté par la rancœur et la division ; seuls les saints, cependant, connaissent pleinement combien coute la communion, la méfiance envers une certaine spontanéité, envers la sympathie à tout prix, envers la facilité dénuée de tout sacrifice. Les saints savent le prix de la communion parce qu’ils en connaissent la source : le côté transpercé du Seigneur, qui accomplit l’œuvre de réconciliation entre les hommes et avec les hommes.

Zatti sait que seul le Sang du Seigneur crée la communion, et il choisit la voie de la participation fidèle et quotidienne au sacrifice du Fils, le sourire aux lèvres, la force dans l’âme, la paix dans le cœur, les mains percées par le travail et la fatigue. Rendant presque imperceptible l’engagement que son immolation exigeait, Zatti « était un homme qui rayonnait la paix, [un homme] d’action, dynamique, sans nervosité, toujours joyeux. Il utilisait souvent des blagues [...] pour remonter le moral d’un malade [...]. C’était un homme qui ne faiblissait pas dans ses pratiques religieuses, [...] signe de son effort pour s’améliorer. Personnellement, ce que j’ai le plus remarqué chez lui, c’est sa charité et son humilité. »

L’humilité de Zatti construit l’Eglise et rend chrétienne la communion dont il est lui-même l’architecte ; celui qui ne meurt pas à lui-même chaque jour, porte avec lui le poids de l’égoïsme qui blesse la communion ; seule l’humilité guérit les relations et surmonte la tentation du pouvoir, du contrôle, de la séduction et de la prévarication. Zatti, sans multiplier les mots et les discours, sait que seule l’humilité peut être créatrice d’une véritable koinonia, fruit et condition d’une diaconie efficace et discrète, qui ne crée pas de dépendance mais restaure la dignité ; seule l’humilité sert de manière générative, en favorisant une communion qui prend soin du lien et promeut l’autonomie. L’humilité est la vertu de Dieu car elle est le secret de tout géniteur, l’espoir de tout enfant, l’esprit de toute vie véritable.

Zatti peut être un serviteur et un bâtisseur de communion grâce à l’humilité qui fait de lui un simple enfant de Dieu, vivant de la Vie de l’Esprit et père de tous : « Je crois que, dans les rapports de Zatti avec ses collaborateurs, il n’y a jamais eu de problèmes parce qu’il était comme le père de tous. Je me souviens qu’il manquait beaucoup à tout le monde quand il était absent parce qu’il était parti à Rome pour la canonisation de Don Bosco. » « La relation de Zatti avec l’hôpital était comme celle d’un père. Je ne me souviens d’aucun malentendu ni d’aucune difficulté : s’il y en a eu, je ne pense pas que ce soit de sa part. Les infirmières avec lesquelles j’ai eu affaire [...] n’ont fait que des éloges et n’ont pas eu à se plaindre. »

2.3 Proximité pascale et martyre de la vie sans fin

Notre frère Artémide Zatti a réellement témoigné par sa vie (martyria) que le Seigneur est ressuscité. « Je suis la lumière du monde » (Jn 8,12) dit le Seigneur de lui-même. L’Évangile est une Lumière qui veut pénétrer dans la vie des hommes, et l’Église, sacrement vivant de Dieu, est Lumière pour le monde. La sainteté de Zatti, nourrie par la Pâque de Jésus, est aussi lumière, et les pauvres et les malades de Viedma en particulier en ont fait l’expérience. Zatti les accueille par la porte du service, il les garde entre les murs de la communion, mais pour leur offrir, avec le témoignage de sa vie, la lumière de l’Évangile, la splendeur de la Pâque qui illumine l’Église.

Les croyants et les non-croyants sont frappés par les paroles et les gestes de Zatti ; son témoignage est sans ombre, extraordinairement salésien, il atteint tout le monde et annonce, à travers deux noms, deux caractéristiques décisives du Dieu de Jésus : la Providence et le Paradis.

Il n’y a pas d’Église là où il n’y a pas de proclamation explicite du nom de Dieu, une proclamation payée du martyre de la vie, sous le signe du sang ou de la charité ; là où l’on promeut le service et la communion de Zatti, la proclamation du nom de Dieu résonne, de ces deux noms, si chrétiens et si salésiens : Providence et Paradis.

Zatti annonce par sa vie que tout en Dieu est amour, mais un amour concret, attentif, illimité et soucieux pour chaque créature : l’amour de Dieu est Providence. Cependant, la Providence de Dieu n’est pas temporaire, mais éternelle, et c’est le deuxième nom : le Paradis. Le paradis est le nom propre du désir de Dieu qui, dans l’histoire, pourvoit aux besoins de ses créatures afin de les garder avec lui pour toujours, pour l’éternité.

Zatti est un maître de cet alphabet chrétien : « son désir constant était que le Seigneur soit connu et aimé. Cela est attesté par la joie qu’il exprime lorsqu’un nouveau patient, qui ne connaissait rien de Dieu, devient un fervent chrétien. Son premier souci était de soigner et d’inspirer confiance en la divine Providence. »

Le sens de la Providence n’était pas une réponse forcée à des conditions précaires, une sorte de dernière plage offerte aux naufragés pour qu’ils ne sombrent pas dans les moments difficiles. Témoigner de la Providence pour Zatti signifiait enseigner comment parler à Dieu, l’appeler par son nom, avec une confiance chrétienne, car « il était très convaincu des principes de l’Évangile et l’un d’entre eux était gravé dans son cœur et dans son esprit : ‘cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît’» (Mt 6, 33) . Il avait appris à l’école de Don Bosco ⸻ dont il a maintes fois lu la vie ⸻ à ne jamais se méfier de l’aide de Dieu, surtout quand il est honoré comme il le veut, dans chacun de nos voisins. »

Mais une Providence sans Paradis ne permettrait pas à la proclamation du nom de Dieu de porter le poids de l’histoire, avec son lot de fatigues, de souffrances et de morts. Zatti animait, à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital, une Église toujours visitée par la douleur et la mort, et cela exigeait une plénitude de foi et de témoignage, il demandait de proclamer le nom de l’unique désir de Dieu pour l’homme : le Paradis. Lorsqu’il témoigne du Paradis, Zatti montre la certitude « de la vie éternelle et de son acquisition par la grâce et les bonnes œuvres ; cela se manifeste surtout face à la mort [...]. Je l’ai personnellement entendu se réjouir d’avoir pu apporter une aide religieuse aux malades et s’exclamer [...] : ‘Aujourd’hui nous en avons envoyé deux ou trois au ciel’. »

Avec ces deux noms de Dieu, Zatti a évangélisé la vie et la mort, la joie et la douleur, la santé et la maladie comme un véritable témoin chrétien, comme un martyr, dans le martyre quotidien de la charité.

La proclamation et le martyre de Zatti ne répandent pas un évangile de circonstance ou d’opportunité, mais répandent le Sel, la Lumière, le Levain, prêtent le visage, le cœur et les mains à un Évangile qui appelle à la vie et imprègne tout, résout les énigmes et surmonte les angoisses avec la chaleur de la Vérité : « Depuis que je le connais, il a toujours donné plus d’importance aux pratiques religieuses qu’à son travail, même s’il le faisait avec persévérance. Il citait souvent les Écritures, surtout les Évangiles, pour consoler les malades ou pour encourager la vertu [...]. Il était très difficile pour lui de ne pas mettre une pensée spirituelle dans ses conversations. Une fois, en parlant avec lui, j’ai mentionné la découverte de nouveaux médicaments comme la pénicilline et les sulfamides ; le serviteur de Dieu m’a écouté et, quand j’ai eu fini de parler, il a dit : ‘C’est vrai, c’est vrai, mais les gens mourront quand même’. »

Et la vérité de l’Évangile, dans sa totalité, a illuminé l’hôpital de Zatti, comme elle avait illuminé l’Oratoire au temps de Don Bosco : pour cette raison, dans l’hôpital de Viedma comme dans les murs du Valdocco, on ne craint pas la mort et on n’a pas besoin de multiplier les dossiers pour adoucir le scandale ou pour cacher les preuves, ce qui ne serait que tromperies dangereuses pour le cœur humain. Zatti a affronté la mort avec le témoignage de l’Évangile de la vie : une vie avec les pieds sur terre, donc laborieuse et concrète, mais avec le cœur au ciel, donc confiante et sereine : « la seule raison de sa vie était précisément l’espoir d’une récompense céleste, il n’a jamais agi pour gagner de l’argent ou pour une réputation, il a tout fait dans l’espoir d’un bonheur futur. »

Son engagement, malgré sa simplicité, était de vivre l’Évangile avec le cœur enraciné dans le Prix final et de faire entrer le Dieu de la Providence et du Paradis dans chaque blessure et dans chaque mort humaine, afin que la Vie et la Résurrection y fleurissent. Cela bénit le témoignage de Zatti et invoque sa présence lorsque les médicaments précieux et rares de l’espoir et de la consolation sont indispensables. Toute la ville de Viedma le savait, comme l’ont confirmé des témoins avec une surprenante unanimité : on appelait toujours Zatti, qui venait encourager et consoler, donnant cette médecine chrétienne qu’il buvait, pour sa vie dans la grâce de Dieu, du même Esprit, le Consolateur. Ainsi, il était « extraordinaire chez le serviteur de Dieu de pouvoir insuffler l’espoir aux malades, ce qui contribuait presque miraculeusement à la guérison en élevant l’esprit de ceux qui souffraient.» Zatti témoigne, jusqu’au martyre de la charité, que le Seigneur est le Dieu du ciel et de la terre. Zatti en est le témoin, avec la passion des saints, qui ne connaît pas de mesure : « Je me souviens d’un patient qui disait à Zatti qu’il l’avait toujours préparé pour le ciel et qu’il devait le préparer un peu pour la terre. Un autre fait témoigne de l’atmosphère qui règne dans l’hôpital : une infirmière a un jour insisté pour préparer à la mort un patient qui n’était pas si mal et qui, en fait, est toujours en vie. »

2.4 La joie de Pâques et la liturgie de la vie rachetée

Artémide Zatti, avec son extraordinaire fidélité aux événements centraux de la vie chrétienne, se nourrit du Pain de la Parole, du Pain du Pardon, du Pain du Ciel, et sa vie est transfigurée, toujours plus intensément, au profit d’une mission riche en fruits toujours plus nombreux. Ainsi, la vie de la Grâce, vécue intensément par ce fils de Don Bosco, atteint tous ceux qui le rencontrent, sans distinction : malades et collaborateurs, frères et autorités, pauvres et bienfaiteurs ; à Zatti, ils touchent la vie du Seigneur, par la force du mystère sacramentel qui est partagé entre les personnes dans la communion du peuple de Dieu. Ainsi, toute l’Église, dans les sacrements, par la force de l’Esprit Saint, célèbre le mystère pascal et assure aux hommes et aux femmes, par les sacrements, une nourriture pour la route, et des remèdes qui guérissent l’humanité blessée par le mal et la mort.

C’est cela l’Église : elle s’épanouit et grandit là où le service et la communion proclament le nom de Dieu, témoignent de la Parole de Jésus, se nourrissent de son Corps, guérissent par son Pardon. Zatti ne fait pas seulement tout cela, mais il est tout cela ; à travers la correspondance avec la Grâce, qui sanctifie sa vie, non seulement nous reconnaissons en lui les gestes et les paroles du Seigneur, mais nous faisons l’expérience de Sa propre Vie : Zatti est un « tabernacle vivant », et son témoignage rayonnant suscite des questions, des résolutions, une conversion, même chez ceux et celles qui sont loin d’une participation intime au mystère du Seigneur.

Le dévouement de Zatti, qui révèle une racine plus qu’humaine, devient une preuve universellement convaincante du pouvoir surnaturel des sacrements ; son amour, en effet, est « un amour surnaturel et extraordinaire pour son prochain ». [...] Il était prêt à tous les sacrifices, et c’est pourquoi ce qui est difficile lui semblait facile. Je pense que les circonstances difficiles de son travail caritatif étaient : le manque de personnel, la demande d’aide à tout moment, ne pas être influencé par le mauvais temps, s’occuper de toutes sortes de personnes. Je me souviens d’un parent malade à qui il rendait visite un jour où il faisait très mauvais temps et à qui l’on disait : « Comment faites-vous pour sortir par ce temps, M. Zatti ? » Il répondit : « Je n’ai pas le choix ! »

C’est une règle de la liturgie chrétienne que de pouvoir se manifester dans la vie du croyant avec ordre, harmonie, dynamisme efficace et surnaturel. Zatti est un chrétien, un laïc salésien consacré de Don Bosco, une pierre vivante de l’Église, un témoin de Pâques, parce que dans ses œuvres est rendu visible le commandement de l’Amour, qui nous fait reconnaître Dieu dans le prochain et le prochain en Dieu ; mais Zatti enseigne, par sa vie, que la force nécessaire à la pratique de ce commandement est surnaturelle, et ne peut venir que de Dieu, de ses sacrements, de la prière et de l’union avec Lui. « Zatti a exercé la charité dans des circonstances difficiles en raison d’un manque de ressources financières, mais aussi parce que son activité dépassait l’ordinaire, en raison du nombre d’heures qu’il consacrait à ses engagements sans omettre ses obligations religieuses. En le connaissant, nous nous sommes demandés comment il pouvait soutenir un si grand effort sans le repos habituellement considéré comme nécessaire. »

Deux épisodes méritent d’être rappelés, comme exemple de la liturgie de la vie dont Zatti est d’abord un disciple puis un apôtre du Seigneur crucifié et ressuscité ; d’abord, la démolition de l’ancien hôpital de San Giuseppe, avec la nécessité de déplacer les malades à San Isidro : « Je ne sais pas si Zatti a reçu une date d’expulsion, et je suis sûr qu’il n’avait rien reçu de son provincial, sinon il l’aurait su [...]. L’état émotionnel dans lequel est tombé Zatti lorsqu’il a fallu retirer les malades, afin que les décombres ne s’effondrent pas sur eux, aurait pu être psychologiquement fatal. Il pleurait amèrement, mais après avoir prié devant le Saint Sacrement, il se mit au travail avec une énergie sereine. » ; et ensuite le service aux mourants : « Un jeune garçon était sur le point de mourir, et Zatti lui parlait après lui avoir donné la communion ; à un moment donné, le garçon a commencé à crier : ‘Zatti, je suis en train de mourir !’ Et au même moment il se leva du lit ; Zatti, le regardant dans les yeux, sourit et dit : « Bravo, tu vas au ciel ! » et le jeune homme se laissa allonger avec un sourire qui ressemblait à celui de Zatti, et qui resta imprimé sur son visage.»

C’est ce qui se passe lorsque l’Eucharistie devient vie et que le mystère pascal devient pratique quotidienne : la grandeur humaine est transformée, par l’œuvre de l’Esprit, et chaque action du croyant se fait dans le Christ, par le Christ et avec le Christ, faisant de la vie une liturgie. et transférant les dons sacrés de la liturgie dans la vie.

Notre cher Artémide Zatti, redevable en tout aux Mystères du Seigneur, sait que tout ne peut être que grâce à lui ; d’où son humilité : « Je me souviens que lorsque mon frère Salvador souffrait de la fièvre typhoïde, le serviteur de Dieu allait lui procurer des soins plusieurs fois par jour. Une fois, le rencontrant sur le chemin de la maison de Salvador, je lui ai dit tristement : « M. Zatti, sauvez mon frère ! Il s’est retourné et, me regardant dans les yeux, m’a dit sévèrement : ‘Ne blasphème pas, Dieu seul sauve !’ »

La vie d’Artémide Zatti a été une vie de don de soi, de communion, de témoignage du Seigneur ressuscité. Une vie pleine de grâces qui l’a conduit à une mort pleinement chrétienne : « En lui demandant si ses douleurs étaient continues, fortes ou non, sans me répondre directement, il m’a dit : ‘Elles sont un moyen de purification et je suis heureux parce que je me rends compte que j’achève la Passion du Christ, que j’ai tant inculquée aux malades’.»

Et l’offre de Zatti était pleine, discrète, sereine et joyeuse, la marque de fabrique de sa liturgie. Une anecdote mérite d’être relevée, dans laquelle, derrière le voile de la sympathie, Zatti donne à ceux qui l’assistent le sens de sa vie, que Dieu a su presser jusqu’à la moelle, parce qu’elle était mûre et pleine. Quelques mois avant sa mort, souriant de sa maladie ⸻une tumeur au foie qui lui tache le visage en jaune⸻, Zatti dit à une infirmière que lui aussi se maquillera bientôt. Mais il aura, comme le citron, la couleur de la maturité, qui rend le fruit prêt à être pressé jusqu’au trognon : « Vous vous maquillez ? Moi aussi ! Dans six mois, je vous donnerai la preuve. Un citron ne sert à rien s’il n’est pas jaune ! »

3. UNE INVITATION À UN ENGAGEMENT EXTRAORDINAIRE

Tel était le titre de la dernière partie de la lettre du père Vecchi, à laquelle j’ai fait référence à plusieurs reprises, et que je voudrais conserver et partager maintenant. Dans les pages précédentes, j’ai essayé d’esquisser de manière simple mais incisive la figure extraordinaire de notre frère salésien coadjuteur Artémide Zatti. Son parcours de vie, imprégné et rempli de Dieu, est plus qu’évident. Tout comme sa sainteté. Face à cette grande figure, le besoin et l’importance d’un engagement spécial pour promouvoir cette belle vocation s’imposent aujourd’hui dans notre Congrégation. Je fais miennes les paroles de Don Vecchi pour demander à chaque Province, à chaque communauté et à chaque confrère, dans les années à venir, dès maintenant, « un engagement renouvelé, extraordinaire et spécifique à la vocation du frère salésien, dans le cadre de la pastorale des vocations : prier, annoncer et proposer, appeler, accueillir et accompagner, vivre personnellement et ensemble cette vocation dans la communauté. »

Les publications riches sur la figure du coadjuteur salésien ne manquent pas ; ce dont nous avons peut-être besoin en ce moment, c’est de rendre notre engagement plus convaincant. J’ai dit à plusieurs reprises dans mes visites aux Provinces, et aussi dans mes lettres, que nous devons avant tout être des hommes de foi, nous abandonner au Seigneur aujourd’hui plus que jamais. De nombreuses autres plans et stratégies peuvent nous aider, mais ils ne nous sortiront pas d’une profonde difficulté. Rien d’autre que la confiance dans le Seigneur et le recours à Lui. Le témoignage suivant d’un Frère Coadjuteur revêt, à mon avis, une force particulière : « Aujourd’hui encore, résonne le ‘Viens et suis-moi’. Et il est toujours étonnant de constater qu’il y a, de nos jours, des jeunes qui ont tout ce qu’il faut pour s’orienter vers le sacerdoce et qui, au contraire, font l’option d’être laïc consacré toujours dans la Congrégation salésienne. C’est pourquoi, dans la pastorale des vocations, il est nécessaire de croire en cette vocation en tant qu’une vocation à part entière, et de transmettre son estime par osmose, sans exercer ni pression ni déformation vis-à-vis de la figure cléricale. Nous devons être convaincus qu’il y a des jeunes qui ne s’identifient pas au modèle sacerdotal, et qui sont attirés par le modèle du laïc consacré. Quelles sont les raisons de ce choix ? Toutes les motivations fournies sont insuffisantes : à la fin, il reste le mystère de la Grâce et de la liberté. »

A ce stade, je voudrais vous inviter à approfondir les prochaines publications sur Saint Artémide Zatti et sur la vocation du Coadjuteur salésien dans notre Congrégation, dans les différentes Régions, et sur les propositions des deux Secteurs de la Pastorale des Jeunes et de la Formation qui nous parviendront sans doute prochainement, comme une aide à l’intercession que le nouveau saint salésien fera pour tous et, sans doute de manière très particulière, pour ses frères salésiens coadjuteurs dans le monde, ceux qui sont déjà là et ceux qui viendront, par la grâce de Dieu.

La force et la beauté d’une invitation

Je crois que la comparaison avec la vie d’Artémide Zatti ne devrait pas se terminer sans mentionner, une fois de plus, une lettre de 1986 du Cardinal Jorge Mario Bergoglio, aujourd’hui Pape François, écrite à un salésien, comme témoignage d’une grâce reçue par l’intercession de Zatti.

L’histoire est bien connue : lorsqu’il était Provincial des Jésuites en Argentine, le Père Bergoglio a confié à Zatti la demande au Seigneur de saintes vocations à la vie laïque consacrée pour la Compagnie de Jésus ; et sa Province a eu la grâce, en l’espace d’une décennie, d’avoir vingt-trois nouvelles vocations de frères religieux.

L’épisode est pertinent non seulement pour les protagonistes de l’histoire ⸻le propriétaire du Mies, un saint coadjuteur salésien, l’actuel successeur de Pierre⸻ mais aussi pour son contenu : la force vocationnelle du témoignage de Zatti.

Il est surprenant que le premier salésien à être canonisé non pas pour le martyre dans le sang soit un coadjuteur, et un coadjuteur qui a renoncé, dans une obéissance radicale à Dieu, à la forme même de vocation qui l’avait fasciné, la vocation sacerdotale, pour être avec Don Bosco, accomplissant alors un service sacrificiel dans le monde de la maladie et de la souffrance.

Cependant, la grande beauté de ce témoignage ne peut pas nous échapper ; en lui brillent les amours fondamentales qui doivent enflammer le cœur du salésien : l’amour de Dieu et de sa volonté, l’amour du prochain, qui dans ses membres souffrants est le Visage proche de Jésus Crucifié, l’amour de la Mère du Seigneur, Médiatrice de toute grâce, l’amour de Don Bosco qui promet à chaque salésien pain, travail et Paradis.

Ces amours brillent dans la grandeur lumineuse de la vie religieuse d’Artémide, embrassée avec un radicalisme joyeux et une créativité généreuse.

Notre frère Artémide Zatti nous montre combien le monde est sensible au témoignage de la vie religieuse, à condition que ce témoignage soit vrai, crédible, et authentique : le triomphe de ses funérailles, la renommée de sainteté, la vénération de sa tombe sont des signes clairs qui indiquent comment nous avons reconnu le doigt de Dieu à l’œuvre dans ce salésien généreux et fidèle : « Proportionnellement aux habitants de Viedma, le nombre de personnes qui sont venues aux funérailles était impressionnant. Des gens humbles sont venus de partout avec de petits bouquets de fleurs. En plus des autorités, de nombreuses autres personnes sont venues. Dans les jours [suivant sa mort], les gens étaient convaincus qu’un saint était mort ; certains se rendaient sur la tombe en s’attendant à des miracles : ils priaient, ils apportaient des fleurs. »

La vie d’Artémide Zatti a réveillé une ville, et aujourd’hui elle touche le monde entier, car il a parlé de Dieu : il a apporté aux pauvres et aux malades, avec une pratique exemplaire de la chasteté, le parfum de l’amour virginal et fécond de Dieu ; il a donné à tous la richesse de la foi, en la payant par une pauvreté aimée jusqu’à céder sa chambre à un malade ou à y amener un mort pour le soustraire à la vue des autres malades dans un dernier geste de tendresse et de pitié ; il a enseigné la vraie liberté, en obéissant à la volonté des supérieurs au prix de larmes amères, en les reconnaissant comme médiateurs du dessein de Dieu.

Religieux exemplaire, avec ce témoignage, il enseigne à tous que la santé qu’il faut préserver par-dessus tout est celle de l’âme, de cette âme qui nous est si précieuse parce qu’elle vient de Dieu et qu’elle aspire à lui, souvent inconsciemment, dans le désir de trouver, dans ses bras, l’Amour éternel.

Que les amours de Zatti enflamment nos amours ; que son témoignage de l’absolu de Dieu, de la grandeur de l’âme et de notre vraie patrie inspire nos actions et notre passion pastorale, pour une nouvelle fidélité apostolique et une fécondité vocationnelle renouvelée. Que nous ne manquions jamais, comme Artémide Zatti l’a toujours cherché, de la protection maternelle de l’Auxiliatrice, et que la dévotion à la Mère dans chaque maison salésienne du monde, et dans chaque coin où la Famille de Don Bosco est présente, soit un chemin sûr qui nous aide à vivre une sainteté comme celle de notre frère.

Je termine ces lignes en proposant une prière au Père par l’intercession du nouveau saint coadjuteur salésien, Saint Artémide Zatti. 

Prière d’intercession
demander des vocations de laïcs salésiens

O Dieu, en Saint Artémide Zatti
Tu nous as donné un modèle de coadjuteur salésien,
docile à ton appel,
et qui, animé par la compassion du bon Samaritain,
s’est fait le prochain de tout homme,
aide-nous à reconnaître le don de cette vocation,
qui témoigne au monde de la beauté de la vie consacrée.
Donne-nous le courage de proposer aux jeunes
ce mode de vie évangélique
au service des petits et des pauvres,
et fais en sorte que ceux que tu appelles sur ce chemin
répondent généreusement à ton invitation.
Nous te le demandons par l’intercession de saint Artémide Zatti
et par la médiation du Christ Notre Seigneur.

Amen.

Avec une véritable affection et uni dans le Seigneur par la prière mutuelle, je vous envoie mes salutations.

P. Ángel Fernández Artime, SDB

Recteur Majeur

La lettre en format PDF peut être téléchargée ici.

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